Après « Jules Verne, les machines et la science » en 2005, « Jules Verne, le partage du savoir » en 2008, et « Jules Verne, science, technique et société : de quoi sommes-nous responsables ? » en 2010, les Rencontres Jules Verne poursuivent l’exploration des relations entre la science, la culture et la société, en s’arrêtant en 2012 sur le thème suivant :
« Jules Verne : science, crises et utopies »
jeudi 22 et vendredi 23 novembre 2012
École Centrale de Nantes
http://rencontresjulesverne.ec-nantes.fr/
Renaud Hétier et Stéphane Blocquaux proposent une communication :
Quand les mondes virtuels entrent en concurrence avec le réel : aux frontières des utopies numériques.
Les mondes virtuels sont des « non-lieux » (u-topia), qui n’ont pas de sol géographique. Ils ouvrent pour la première fois une perspective matérialisée, puisqu’ils représentent ce qui était jusque là laissé à l’imaginaire de chacun. Mais ils maintiennent cette extériorité nécessaire qui permet à la pensée de s’essayer à distance des contraintes du réel. Pourtant le progrès numérique semble se faire toujours dans le même sens, à savoir en se rapprochant du réel par un effort de réalisme. Dans un monde bis comme celui de Second life, ce sont des entités réelles qui pénètrent cet univers et qui le marque, troublant l’extraterritorialité initiale. Dans le monde purement imaginaire de World of Warcraft, ses Orcs et ses dragons, c’est le réalisme graphique qui rapproche l’expérience sensible du réel. Mais c’est peut-être moins la perspective d’un dépaysement, et du crédit que peut lui donner le réalisme des représentations, que celle d’une opérationnalisation qui importe. En effet, la particularité spécifique des mondes virtuels, c’est qu’on peut y agir (ce qui n’était pas le cas du lecteur de Thomas More). Cette possibilité d’agir permet un certain sentiment de maîtrise qui contraste avec l’expérience de la vie réelle. Aussi, dans une culture numérique, le monde « utopique » n’est pas directement un monde meilleur (plus juste) ou un monde plus agréable (plus distrayant), mais un monde plus facilement améliorable, puisqu’on peut opérer dessus, agir, lutter, favoriser, etc. Il serait réductible de rapporter toute position de jeu à celle de la « toute puissance » arbitraire et tyrannique mise en scène dans des jeux de destruction ; il se manifeste aussi un désir de pouvoir faire quelque chose, y compris de rétablir de l’ordre, de la justice, etc. Nous nous intéresserons particulièrement à cette forme de « tir croisé » qui fait que les joueurs tendent à chercher à participer à l’édification d’un monde meilleur dans un univers fictionnel comme celui de Warcraft, alors qu’ils tendent à détourner, transgresser dans un univers réel bis comme celui de Second life.